Rome écrase Zénobie, la reine de Palmyre (267-272)

Rome écrase Zénobie, la reine de Palmyre (267-272)


Palmyre, dans le désert de Syrie, atteint son apogée en le Ier et le IIIème siècle de notre ère. Longtemps orienté vers de pacifiques entreprises commerciales, la cité, tout en conservant son autorité avait reçu le statu de colonie romaine. Lorsque son roi, Odenath, chargé par Gallien de la défense de l’Occident remporta d’éclatantes victoires sur les Perses, il devint « imperator » et gouverna au nom de Rome, presque toute l’Asie romaine. Zénobie qui était sa seconde femme le fit, semble-t-il, assassiner pour prendre le pouvoir. Elle allait ainsi entrer dans l’histoire bien que sa toute-puissance n’ait duré que cinq ans.

Un voyage à Palmyre était, il y a encore un siècle, un véritable exploit ; il n’est plus aujourd’hui qu’une excursion. La cité du désert est à 230 km à l’est de Damas et c’est par un bond rapide qu’on plonge dans ce gigantesque décor d’architecture, un des plus beaux qu’on puisse imaginer, planté dans une immensité immobile. Quand on en approche, on aperçoit tout d’abord les tombeaux-tours, formant un orgueilleux et funèbre boulevard, et un château arabe se profilant sur le sommet d’un haut rocher en une romantique vision à la Gustave Doré. Pénétrant dans la cité, on est enveloppé de majesté : colonnades, édifices grandioses, et l’énorme temple consacré à Bêl et autres dieux palmyréniens.
La ville antique est morte toute entière. Telles ces bêtes rongées au long des pistes du désert, elle s’est dépouillée au cours des siècles de ce qui était accessoire et périssable, conservant seulement ce qu’il y avait de grand et de monumental en elle, livrant à la dorure du soleil des ruines démesurées. Il ne manque pas même à ce site pour l’humaniser, un grand fantôme : celui de la reine Zénobie, qui fut fastueuse et guerrière et connut un tragique destin.
C’est à l’époque romaine que la cité du désert est entrée dans l’histoire et on doit à Pline l’Ancien de l’avoir décrite dans un raccourci saisissant :
« Palmyre est une ville remarque par le site, la richesse du sol et l’agrément des eaux. De tout côté, les sables enserrent l’oasis, et la nature l’a soustraite au reste du monde. Elle jouit d’un sort privilégié entre les deux grands empires, celui des Romains et celui des Parthes, et tous les deux la sollicitent, dès que renaissent leurs conflits ».
« Ville soustraite au reste du monde » : le mot de Pline est bien vrai, mais elle a cette providence des régions arides : une source abondante (la source d’Elfa) qui jaillit au sud de l’ensemble monumental. Son débit n’est certes considérable, mais elle suffit à faire vivre des palmiers, des oliviers, divers arbres fruitiers et quelques cultures de céréales. De tels jardins représentent beaucoup pour une cité du désert, mais cela n’aurait pas suffit à lui conférer son éclat et sa puissance. Comme tant d’autres oasis, elle se serait assoupie dans la chaleur et la lumière si sa position même ne lui avait offert un atout considérable : les Palmyréniens devinrent au temps de Rome, de grands commerçants qui assuraient le relais de l’entrepôt des marchandises entre la Méditerranée ; l’Orient, l’Extrême-Orient même.
L’archéologie a permis de reconstituer les fastes du trafic de Palmyre. Celui-ci rapportait gros, à en croire Pline, qui assure que le prix de certaines marchandises centuplait entre leur point d’origine et Rome. Les trouvailles faites au cours des fouilles nous édifient sur ce grand commerce des aromates provenant du Cachemire, d’autres de l’Himalaya, des tissus de l’Inde, du Turkestan et de la Chine, des perles du golfe persique. C’est un véritable catalogue de marchandises achetées dans les mondes les plus lointains, une fabuleuses énumération des richesses de l’Orient qui, déjà, fascinaient l’Europe. La puissance romaine, en s’étendant sur les rives orientales de la Méditerranée, noua de fructueuses relations avec Palmyre, qu’elle plaça dans son orbite. Elle lui demandera d’être la citadelle avancée de l’Empire contre les Perse et les Parthes. En échange, la cité du désert gardera ses propres institutions et, naturellement, ses dieux.

Lorsque, dans la seconde moitié du IIIème siècle, les invasions et l’anarchie affaiblissent la puissance romaine, un roi palmyrénien prend le pouvoir, Odenath, un guerrier redoutable, qui s’est victorieusement attaqué à Sapor, le fameux souverain perse. Quand il meurt assassin é en 267, son fils Vaballath hérite de ses titres, mais, comme il est très jeune, sa veuve Zénobie prend en fait le pouvoir. L’armée la reconnaît et la révère ; on a de cette époque une inscription honorifique, gravée sur la grande colonnade : « A leur souveraine Septimia Zenobia, l’illustrissime et pieuse reine, les excellents septimius Zabbas, général en chef, et septimus Zabbaior, commandant de la place ».
Zénobie était-elle arabe ou d’origine égyptienne ? Elle se vantait de descendre des Ptolémée et se faisait appeler la « Nouvelle Cléopâtre ». Les témoignages s’accordent sur sa grande beauté. L’historien Trebellius Pollion, qui écriait en 360, ne lésine pas sur les superlatifs : « Elle était la plus noble de l’Orient, et la plus belle… Elle avait le teint brun, les yeux noirs et pleins de feu, la physionomie merveilleusement enjoué, et toute sa personne était pleine de grâce, au-delà de ce qu’on peut s’imaginer, Sa Voix était claire et mâle ».

Elle ne redoutait rien, faisant preuve du même courage audacieux que son époux Odenath. « Elle allait le plus souvent à cheval ; mais elle le faisait aussi bien trois ou quatre mille à pied avec les troupes. Elle savait boire avec ses généraux, mais sans exagération. Elle se servait de vases d’or ornés de pierres précieuses dont Cléopâtre avait fait usage. Son faste était royal… Elle paraissait en public, à la manière des empereurs romains, casque en tête, revêtue d’un manteau de pourpre aux franges ornées de perles, qui lui laissait les bras nus… » On a pu dire qu’elle était, en vérité plutôt Minerve que Vénus. Trebellius Pollion ne la cache pas d’ailleurs pas :
« Elle était généreuse, dit-il, mais sans profusion, et ménagère de ses trésors, plus qu’on ne l’attendrait d’une femme ».
Ses mœurs étaient sévères : « Elle était si chaste que, dans le mariage, elle n’avait d’autre vue que la procréation, ne se donnant à nouveaux à son époux que lorsqu’elle était assurée de n’être pas encore enceinte… Sa maison était composée d’eunuque d’un certain âge et de quelques très rares jeunes filles »
Ses fortes vertus, son tempérament guerrier, son goût de l’apparat n’excluaient pas une passion constante de la culture.. Outre sa langue, elle possédait parfaitement l’égyptien, le grecque et le latin aussi, bien qu’elle ne voulût pas le parler.
Elle était férue d’histoire, notamment de celle d’Alexandrie et de l’Orient, dont elle fit un résumé. Elle s’entourait d’hommes éclairés, particulièrement le philosophe Longin, son maître en philosophie, qui avait enseigné à Athènes.
Voilà que Rome se débat dans les plus grande difficultés, contenant difficilement la pression des barbares aux frontières, luttant contre les troubles internes. Zénobie en profite : elle rompt définitivement ses attaches avec l’Empire et accroît sa puissance. Maîtresse d’un petit territoire au cœur du désert syrien, elle se taille maintenant un véritable empire s’étendant de la Méditerranée au Tigre, de l’Asie mineure à l’Égypte.

Prodigieuse ascension ! Mais aussi folle audace de s’être ainsi attaquée à Rome et d’avoir spéculé sur son écroulement !

Or l’Empire connaît un renouveau, grâce à des hommes originaires des provinces danubiennes, frémissants de patriotisme comme le sont les hommes des marches-frontières, soldats sortis du rang qui graviront tous les échelons jusqu’à revêtir la pourpre impériale. L’un d’eux, Aurélien, va lutter farouchement pour rétablir l’unité. Il entreprend la campagne d’Orient. Après avoir triomphé à Antioche, il s’engage à travers le désert à la poursuite de Zénobie et, sous les murs de Palmyre, lui envoie un message, lui offrant la vie sauve. La souveraine répond que « c’est au courage qu’il revient de résoudre les problème de la guerre ». Sur un chameau de course (un méhari) elle est partie quérir l’aide des Perses, mais les cavaliers romains la rejoignent sur l’Euphrate. La campagne d’Aurélien contre Palmyre est un haut faits d’armes. Quiconque franchit les vastes étendues désertiques qui entourent la célèbre cité se doit d’y replacer l’armée romaine, conduite par son empereur. Imaginons les légions romaines y cheminant, accablées de soleil, alourdies par leur armement, traînant leur « impedimenta, jusqu’à l’eau. Ceci se passa en 272. La haute-puissance de Zénobie n’aura duré que cinq ans. La reine est emmenée prisonnière à Rome et Aurélien fait exécuter ses conseillers ; notamment Longin, mais se montre magnanime envers elle. Ce n’est certainement pas par pitié que ce rude personnage se laisse fléchir . Ce n’était pas la première fois que la fascination de l’Orient et de ses femmes s’exerçait sur les empereurs-soldats.

Une version veut que Zénobie soit morte pendant son transfert à Rome. Mais la vérité semble bien être dans le récit de l’ « Histoire d’Auguste » ; Zénobie a participé au triomphe d’Aurélien, en même temps qu’un autre grand vaincu : Tetricus, gouverneur d’Aquitaine, qui s’était proclamé empereur de Gaule. L’historien a donné là-dessus des détails riches en couleur, digne d’un film à la Cécil B. De Mille. Quelle mise en scène ! Quelle gloire pour un homme comme Aurélien, issu d’une famille obscure, soldat à vingt ans, qui a conquis tous les grades et tous les titres jusqu’à celui d’empereur !

« L triomphe d’Aurélien fut magnifique. On y vit trois chars royaux. L’un était celui d’Odenath, couvert d’argent, d’or et de pierreries ; le second, d’un travail semblable avait été donné par le roi de Perse à Aurélien ; le troisième avait été fait pour Zénobie qui espérait y entre à Rome.

« Son espérance ne fut pas déçue ; c’est bien avec ce char qu’elle entra dans la ville, mais en vaincue et menée en triomphe. Il y en avait un quatrième, attelée de quatre cerf qui avait appartenu, dit-on, au roi des Goths. Aurélien y monta jusqu’au Capitole, pour immoler les cerfs à Jupiter Capitolin.
Devant lui marchaient vingt éléphants, des bêtes fauves de Libye qu’on avait apprivoisées, deux cents animaux de toutes sortes, amenés de Palestine… Venaient ensuite, conduits séparément, quatre tigres, des girafes, des élans et autres animaux de ce genre, puis huit cents couples de gladiateurs et les prisonniers des nations barbares, tous les mains derrières le dos. Parmi eux se trouvaient les chefs palmyréniens qui avaient survécu et les Égyptiens saisis comme rebelles.
Parmi les prisonniers marchait Tetricus avec sa chlamyde écarlate, sa tunique verdâtre et ses braies gauloises, et Zénobie, parée de pierreries et chargées de chaînes d’or, que l’on soutenait autour d’elle. On portait aussi les couronnes de toutes les villes, couronnes d’or surmontées d’inscriptions qui en disaient leur origine. Le peuple romain, les vexilla des corporations et les troupes, les soldats cataphractaires, les richesses royales, toute l’armée et le sénat, ajoutaient beaucoup d’éclat de cette pompe. Le cortège n’arriva au Capitole qu’à la neuvième heure et très tard au palais impérial »

Grandiose vision, certes, mais aussi pitoyable spectacle que celui de cette reine, qui s’était taillée un empire immense et qui, pendant de longues heures, titubant sous les chaînes, défila parmi une population vélociférante. Aurélien voulut-il se faire pardonner cette victoire sur cette femme, ce dont certains, à Rome, n’avaient pu manquer de se gausser ? On assure que Zénobie eut une fin paisible. Elle aurait reçu des terres à Tibur, près de Rome. Elle se serait même remariée et aurait eu des enfants. Plus tard, des nobles Romains pouvaient se flatter de descendre d’elle. Mais en vérité, un voile entoure la fin de l’illustre reine de Palmyre. Sa personnalité était telle qu’elle entra dans la légende, qui se concilie mal avec les rigueur de l’histoire.
Zénobie captive, Palmyre ne s’avoua pas vaincue. Elle se révolta à nouveau. Aurélien revint et, cette fois, la cité ne trouva pas grâce : elle fut livré au pillage et à l’incendie et on massacra la population, jusqu’aux femmes, aux enfants et aux vieillards.
C’était le glas de la civilisation palmyrénienne. La ville ne connaître plus désormais qu’une vie au ralenti. Les derniers empereurs romains la fortifièrent, car il fallait toujours contenir les invasions menaçantes des Perses et des nomades du désert.

Palmyre s’ensommeilla jusqu’à nos jours. Quelques rares voyageurs européens y passèrent, notamment en 1751 l’Anglais Robert Wood, dont les relevés publiés en Europe firent sensation. Après la Première guerre mondiale, lorsque la France fut chargée du mandat de la Syrie, nos archéologues entreprirent sur le site, un travail considérable, mais cela est une autre histoire !



URL d'origine : http://www.lodace.com/histoire/document/zenobie.htm (site fermé).


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